Regards croisés

exposition solo


du 18 décembre 2021 au 30 janvier 2022, BAM, Mons






L’ exposition présente un ensemble de travaux issu des recherches récentes de Marie Van Roey. Les techniques sont variées, les sujets abordés le sont tout autant. Pourtant, au-delà de cette diversité apparente, un regard particulier se dessine, attentif au détail, se posant sur les êtres et les choses avec une grande délicatesse.

Avant même le geste pictural, il y a l’acte de regarder.

Le regard de Marie Van Roey s’arrête sur certains lieux, certains visages. Il isole une scène où quelque chose - si microscopique soit-il - se trame. L’œil de l’artiste imprime cet instant fugitif - à peine vu, peut-être, mais pourtant saisi. Une perception qui se situe avant le langage, comme si la pensée n’avait pas encore eu le temps de se traduire en mots.

Les œuvres portent en elles ce temps suspendu et nous transmettent une impression de pure sensation, qui semble venir de leur surface même : superposition de couches de peinture transparentes, feutrage de la laine, velouté du pastel, créent une dissolution des contours. Les formes sont poreuses, et semblent absorber un peu de la matière qui les entoure.

Cette porosité nous dit aussi quelque chose des relations entre les êtres - animaux, humains. Ainsi, chacun absorbe un peu de l’autre, mais aussi de son environnement : objets, nature, lumière, couleurs. Il se fondent les uns dans les autres, et tous dans le paysage.

Le choix des lieux n’est pas anodin : la basse-cour comme le terrain de jeu sont des espaces à la fois clos et ouverts, ayant leurs propres règles et codes de conduite. Sous le regard de l’artiste, les habitants de ces espaces s’affairent ; des liens s’établissent, des transactions s’opèrent. Ils forment une communauté à part du monde, mystérieuse et fascinante.

Les Paysages à Deux nous amènent ailleurs, dans un espace moins précis, plus dépouillé. Là encore il est question de surface, de couleur, de relations. La série fonctionne ici comme une archive d’explorations picturales, où la mémoire accumulée permet à l’artiste de s’affranchir de son propre récit. Une montagne peut donc parfois disparaître, puisqu’elle est présente ailleurs. Ou bien elle est encore là, en dessous, mais n’a plus besoin d’être visible. Ensuite seulement, chacun pourra voir dans ces paysages des variations atmosphériques - crépuscule d’automne, brouillard matinal, lumière d’été...
De la même manière, les deux silhouettes au centre du paysage résistent à toute explication. Elles semblent néanmoins chercher la juste distance entre elles, ou explorer différentes manières d’être ensemble.

Puis, l’œil se rapproche, le paysage disparaît pour laisser toute la place aux corps et aux visages. La surface, douce et veloutée, réfléchit cette fois l’intériorité des êtres. La lumière aussi semble venir de l’intérieur.
La laine feutrée et le pastel vont naturellement dissoudre les contours de ces visages et corps de femmes, absorbées en elles-mêmes. Les visages sont graves, les yeux souvent baissés ou fermés. Elles sont présentes et absentes à la fois.

Avec les Endormies, il est encore question de regard. Regarder des gens qui dorment provoque une sensation étrange, presque coupable : ces femmes endormies, même si elles n’existent qu’en peinture, ne savent pas qu’on les regarde. Elles s’offrent à nous et en même temps ne se laissent pas déchiffrer. Derrière leurs yeux fermés, le mystère demeure.

Les compositions de Marie Van Roey nous restituent des moments suspendus, des fragments prélevés à la continuité du temps. Elles apparaissent comme des scènes aperçues du coin de l’œil et rangées ensuite dans la mémoire. Elles provoquent des sensations à la fois très précises - instants saisis dans leur singularité - et en même temps floues, opaques, comme des souvenirs.
Ce qui se joue dans ces scènes est énigmatique, fragmentaire - un peu comme dans les rêves - et pourtant nous en avons une compréhension instinctive. La série de la Basse-cour est, en ce sens, exemplaire, car le langage animal nous échappe toujours et se refuse à toute traduction.
Ce jeu entre opacité et transparence se retrouve dans toute les œuvres, à travers les espaces, familiers et étranges à la fois, et jusque sur les visages feutrés des portraits et les yeux clos des dormeuses. Il renvoie au secret, au silence, à cette part de mystère qui se dérobe à toute explication. Mais il est avant tout porté par la matière picturale : les couches de couleur transparentes s’opacifient en s’additionnant et brouillent les limites, écho d’une perception du monde où des relations à la fois simples et complexes s’établissent entre les habitants - poules, canards, moutons, hommes,

Anne Attali, décembre 2021